Fors.fm : instruments virtuels

Ess Mattisson est l’une des personnes ayant travaillé à la conception de quelques machines connues des musiciens comme l’Elektron Digitakt , l’Elektron Digitone (premières versions), la série des machines Model:XX , etc. Il a aussi travaillé sur quelques modules Eurorack comme l’Osiris de Modbap. Il a été très actif dans l’industrie des instruments musicaux commerciaux de ces dix dernières années. Sa spécialité semble être la conception d’algorithmes de synthèse faciles à comprendre, qui exposent peu de paramètres tout en demeurant longs à maîtriser et très riches quant aux résultats sonores qu’ils peuvent produire. Il semble graviter, pour cette raison, autour de certaines techniques de synthèse particulièrement efficaces : synthèse par modulation de fréquence, modélisation physique, circuits avec feedback, conception de contrôles macros dont les effets se répercutent sur plusieurs paramètres du synthétiseur / module d’effet.

La qualité de son travail ne réside pas seulement dans sa capacité à concevoir des algorithmes de synthèse. Elle est aussi à chercher dans son talent pour penser des interfaces intuitives et attractives pour les musiciens. Naturellement, cela se répercute sur la forme des outils conçus : les interfaces sont stylisées – parfois cryptiques – et assez taiseuses concernant les détails du fonctionnement. Pour le musicien, cela possède un avantage : il est possible de cliquer partout et d’explorer librement les résultats sonores sans trop penser au pourquoi du comment. Les instruments conçus par Fors sont approchables, peu importe le niveau de compréhension que l’on peut avoir des principes de la synthèse sonore. Ces instruments reprennent les briques les plus élémentaires, les plus ancrées, de l’outillage des musiques électroniques : séquenceurs à pas, patterns, modulations classiques et en nombre limité. Les techniques de synthèse explorées par chaque device, quant à elles, sont souvent assez fines et autorisent des résultats drastiquement différents à partir de modulations assez minimes. Il est souvent assez dispensable de s’ateler à la lecture des manuels, sauf pour approcher quelques options cachées. Tout peut s’apprendre directement à l’oreille et par simple expérimentation.

Tout les instruments et effets conçus par Ess Mattisson sont à considérer comme des unités, qu’il s’agit ensuite de combiner pour construire des systèmes plus complexes. Tout ces devices souffrent en revanche du même défaut que l’écrasante majorité des instruments et effets virtuels : contrôle à la souris, interaction limitée, skeumorphisme, dépendance à des plateformes logicielles, etc. Ils imitent souvent un modèle de quelque chose qu’ils ne sont pas : un synthétiseur physique, une boîte à rythme physique, etc. Le travail de Ess Mattisson a déjà donné naissance à un écosystème assez impressionnant de machines, d’effets et d’instruments. S’ils ont tous des points communs dans leur fonctionnement et dans le résultat sonore qu’ils produisent, il est possible de s’y perdre de nombreuses heures avec plaisir. Les algorithmes de Ess ont déjà une influence considérable sur la musique électronique produite aujourd’hui et ce même si l’on se limite aux seules machines Elektron. Je m’amuse régulièrement à sampler les résultats produits avec certains devices comme base pour les live coder ensuite.

Échantillons (2 mesures chacun)

Exemple sonore

Code utilisé pour l’exemple (TidalCycles)

1do
2   d1 $ chop 8 $ loopAt 4 $ s "<dyad dyad:6>" |+ n "<1 2>"
3   d2 $ chop 8 $ loopAt 4 $ s "<dyad:3 dyad:5>"
4      # pan (perlin) # hpf 2000
5      # room 0.8 # size 0.8
6   d3 $ s "kick*4" # sustain 0.1 # release 0.125
7   d4 $ chop 8 $ loopAt 2 $ s "dyad:11"
8      # hpf 1000 # pan "[0.25,0.75]"

Fors.fm

Depuis quelques années, Ess Mattisson et Felisha Ledesma commercialisent sur le site Fors.fm des devices Max4Live – et un plugin au format CLAP – conçus à l’imitation de plugins commerciaux plus standards : Opal (Elektron-like), Tela (synthétiseur à modélisation physique), Chiral (synthétiseur phaseshaping), parmi de nombreux autres. Je ne peux que déplorer, même si je la comprend, la double dépendance récurrente à des formats propriétaires : Ableton Live (1) et Max4Live (2). Pour une équipe aussi restreinte, dépendre de ces plateformes possède plusieurs avantages : cela minimise les coûts de développement, de maintenance, de test sur différentes plateformes, etc. Max et Live offrent un environnement hôte qui permet de se concentrer sur la réalisation d’une idée plutôt que sur la mise en place de toute l’infrastructure nécessaire pour la faire vivre. Le travail de Ess et Felisha est parfois stratégiquement mis à l’honneur par Cycling74 , comme exemple de ce qu’il est possible de réaliser à partir de la plateforme Max. La nature commerciale de l’opération – et les prix très corrects – ne me gênent pas : il faut bien vivre de son art !

Le coût d’entrée pour pouvoir ne serait-ce qu’essayer ces devices est en revanche assez astronomique : il faut disposer d’une licence Live et Max4Live. Certains devices possèdent par ailleurs une intégration avec le Push 3. C’est selon moi dommage car toutes les idées travaillées par ces créations sont excellentes et mériteraient d’être connues par un plus large public de musiciens. Par défaut, ces devices produisent des jams électroniques intéressantes, qui n’attendent ensuite qu’à être retravaillées. Si vous en avez la possibilité, je ne peux que recommender d’essayer toutes les créations de Fors.fm . Il y aura sans doute des idées intéressantes à en tirer pour un large spectre de musiques et de musiciens.